Ça sert à rien de pleurer sur l’adolescence, comme une adolescente, même si cet âge semble s’étirer jusqu’à demain.
J’ai pas tant mal au crâne que ça de la veille. Je fais attention. Pourtant je disais à ma psy que j’avais une conduite à risque. Je dois pas avoir la même notion de risque.
J’ai peur d’être rattrapée par une réalité incertaine ou un trauma insupportable.
Mon grand-père paternel était alcoolique. Il en a fait baver à ma grand-mère et aux enfants. Je suis sur ses genoux dans un polaroid, trace ténue de nos liens, je peux aussi retrouver le chemin de sa tombe au cimetière de Créteil. Chez un ami de primaire, j’apprenais qu’à une autre époque les enfants buvaient du vin à la cantine, alors pourquoi pas nous en servir ce midi. À table avec mes grands-parents du côté de ma mère, il y a toujours eu du rouge. Le champagne aux fêtes. L’aînée des cousins j’ai rapidement été considérée assez adulte. Blanc rouge café piquette qui tâche cubi millésime liqueurs maison et puis ce whisky tiens tu verras (c’était du Jack Daniel’s).
Surtout, j’ai vu ma mère sombrer dans l’alcoolisme alors que je me mettais des miurges en soirée. Je réalise que j’ai jamais pensé à lui voler ses flasques ; je les trouvais, toujours mal cachées, et je les vidais dans l’évier.
Ma mère le remarquait peut-être ? Elle était trop ivre pour se lever la plupart du temps. La chambre, la sueur, tout puait l’alcool à son chevet. Mais elle a dû nous engueuler plus d’une fois. Alors on vidait progressivement, par lampées. Chez ses parents, c’est comme s’il ne s’était rien passé. Tout est sous contrôle.
Elle remarquait pas non plus les cigarettes que je lui volais pour fumer à la fenêtre tard dans la nuit, en écoutant Joy Division, Cat Power ou Tallest Man on Earth. Je devais puer aussi.
Mais j’ai pas fait de blackout depuis près de 10ans. J’ai pas allumé de feu ou fini sur la carrosserie d’une voiture garée depuis aussi longtemps. Je n’ai pas laissé qui que ce soit me brûler avec sa cigarette depuis le lycée. J’ai arrêté de prétendre boire à la bouteille pour recracher, me prétendre plus ivre que je n’étais.
Je me figure en contrôle de l’envie de le perdre. À passer du bon temps à avoir envie de le regretter. Je n’ai jamais bu seule. Devant The Good Wife, voir Alicia se servir seule dans sa trop grande cuisine me serrait toujours la gorge.
Parfois j’ai peur de ne pas rentrer chez moi, de m’arrêter dans un bar, prendre un ballon puis un train pour nulle part. Au fond je sais que ça n’arrivera pas. Je me fais un peu trop de films. Le pays est malade j’en suis pas tellement plus arrangée mais pas victime, presque épargnée. Tout compte fait.
Quand j’ai entendu les Cold War Kids je suis devenue obsédée par une chanson. J’ai jamais donné assez d’importance aux paroles, et certainement pas pour les retenir.
We Used To Vacation doit être une des premières (des seules) chansons que j’ai choisie d’apprendre pour moi.
I promised to my wife and children
I’d never touch another drink as long as I live
But even then, it sounds so soothing
To mix a gin and sink into oblivion
Je ne me suis jamais fait de promesses. C’est plus simple si la tentation est de les briser. L’oubli est à trouver ailleurs. Et je continuerai de me mentir à moi-même tant que j’aurai l’assurance de ne pas craquer.
[…] simulacre d’investissement à 18h hop on ferme l’ordinateur. Et puis un cookie, seule (That’s how it starts). Je sais pas vers quoi je voulais être portée (si, mais ça c’est pour le journal intime […]