Ça y est, c’est la rentrée. Et l’épuisement qui suit.
Pour A. ce sont les premiers jours à la crèche. Je reviens de plusieurs mois de congé parental et l’anxiété du retour au travail n’a fait que croître depuis que je l’ai quitté. Il paraît qu’il faudrait trois jours loin d’eux pour réussir à se détacher de ses enfants et profiter de ses vacances, enfin c’est Sophie Letourneur qui dit l’avoir entendu dire dans Voyages en Italie (je crois). Mais du coup c’est combien de temps pour le travail, si on y ajoute que l’enfant lui est toujours bien là ? Les calculs sont pas bons, je sais simplement que je ne voulais pas retourner travailler. J’aurais pu rester avec lui, mais la rupture est faite : on me rappelle de force à une vie indépendante de lui. Et puis… ce n’est plus pareil maintenant que des professionnelles sont payées à s’occuper de lui de s’imaginer retourner à un congé sans solde où ma journée ne finit jamais… Aussi dévouée et emplie d’un amour incommensurable que je sois hein on s’entend.
L’adaptation à la crèche a été une adaptation à un nouveau rythme pour nous aussi. Et j’ai pu ne reprendre que deux jours la première semaine, accompagnant l’enfant les trois autres. J’ai posé un congé (payé celui-ci) le 1er septembre, de quoi totalement disrupter la rentrée. Cela fait 15ans que j’ai quitté le lycée, 7ans que j’ai fini mes études. La rentrée me hante, comme beaucoup de monde je crois, je continue d’avoir des sueurs froides en août. Ah aussi je travaille dans l’enseignement supérieur, ça n’aide pas… Première fois donc que je fausse compagnie à cette journée redoutée. Lundi.
Ce n’est que le soir que, revoyant apparaître dans mon fil Bluesky son portrait illustré dans Cas d’école, j’apprenais le suicide de Caroline Grandjean.
Vendredi, j’avais également pris ma journée pour A., mais il n’avait déjà plus tant besoin de moi. Et je me suis permise une sortie au Centre Pompidou, avant sa fermeture, voir l’exposition Wolfgang Tillmans. La moquette m’a rendue nostalgique, pourtant je ne l’ai pas tellement foulée durant mes études. A vrai dire, tout m’a rendue quelque peu nostalgique. Ce kaléidoscope, cet Atlas Mnémosyne de notre monde contemporain, baigné dans la culture queer des années 80 et ce doux esprit de révolte incapable de choisir entre l’idéalisme naïf et la déception angoissée. Je vois les gens passer, arpenter la BPI avec curiosité. Je me demande si eux aussi ils ont eu cet élan d’écœurement du monde et de grand bouleversement, voulez-vous renverser la société ensemble ? L’exposition nous ramène-t-elle, tous ensemble, dans ce même point de focale et à un instant T où tout pourrait encore changer ? À quoi ressemblerait l’Europe de Tillmans ?
Et puis, parmi toutes les images prises, collectées, réagencées, je retombe sur cette carte postale. Je la reconnais immédiatement, c’est une photographie de Herbert Tobias, cette carte doit provenir de l’exposition à la Berlinische Galerie de 2008. Je lui avais préféré les portraits d’Andreas Baader et de Nico qui m’ont accompagnée dans ma chambre d’internat, mais je m’en souviens. J’avais créé une page Facebook pour cet artiste dès mon retour de Berlin, alors qu’il n’avait pas encore de page Wikipédia française (hmm). Une connivence, parmi toutes les connivences, que je m’approprie comme toute personnelle.

Je ressors de cette exposition naïve, moi aussi, portée par l’espoir de générations queer peut-être. Après être allée chercher A., nous nous rendons au femmage à Caroline Grandjean, près du Ministère de l’Éducation Nationale. L’espoir est fragile, la foule réduite, la colère immense. Des habitants du 7e nous traversent, le dégoût. Dans quelques jours, Lecornu est promu 1er ministre.
Le 10 septembre approche. L’échéance est une nouvelle rentrée, cette fois sociale. J’y projette tout l’enthousiasme qui me fait garder la face, en AG et avec les collègues syndiqués au travail. Ce ne sera pas le grand jour mais un grand jour, il le faut, enfin quoi l’épuisement est général, l’anxiété partagée, qui ne peut pas réaliser la folie libérale et libertarienne, les horreurs racistes, lgbtphobes, validistes, génocidaires qui accablent le monde ? Mais je sais que le sabordage par les médias et la droite notamment autour de l’implication de la gauche ont semé la confusion sur un mouvement d’abord confus et de personnes peu politisées, que Retailleau écrase toute contestation, que la liaison avec le 18 est difficile et que tant que la grève n’est pas générale, illimitée, nous ne pourrons pas grand chose.
Il y a La voie royale sur Arte. Je regarde le film assise les jambes pliées contre ma poitrine, les bras serrés, la tête entre les genoux. Une rentrée de trop. Je n’ai pas connu cette rentrée, cette prépa, d’abord parce que j’étais en lettres et pas en MPSI, et puis parce que je n’étais pas une lycéenne exceptionnelle qui avait pu intégrer une prépa de renom. Mais je reconnais les couleurs de l’internat, les humiliations des professeurs, le stress insupportable des concours blancs. Je me dis que Sophie elle ne peut pas l’avoir, l’X, le but de cette histoire ne peut pas être de nous faire croire que c’est possible, ni enviable, son rêve n’en est pas un selon elle, sa naïveté n’en est pas une. Elle aurait pu être amoureuse d’une fille, mais celle-ci rêve de théâtre, et elle est bourge elle est belle elle ne te comprend pas. Car Sophie elle elle est du vrai milieu, les gilets jaunes elle connaît, qui d’autre qu’elle peut tout faire changer… Par X ? Tu en penses quoi des mouvements populaires aujourd’hui Sophie ? Tu as repris un café avec Diane, elle est sans doute au NPA maintenant, et toi en tricorne tu te dis que les saltimbanques ne comprennent pas les vraies gens ?
Je m’interroge. Est-ce que 15ans plus tard, il y a déjà la moitié de ma vie, je regrette encore ? De ne pas avoir été assez combative, de ne pas m’être donnée, de ne pas avoir fait de montage de moi sérieuse grâce à de l’Adderall ? Ou bien de ne pas avoir non plus totalement craqué, de ne pas avoir suivi/été cette fille qui faisait du théâtre, de ne pas avoir su ce que je voulais, de ne toujours pas vraiment le savoir ? (C’est ce qui se joue chaque mois de septembre finalement ?). J’aimerais prendre un café avec ces filles, celles de mon lycée, celles qui ont réussi, qu’elles me rassurent ou réécrivent l’histoire avec moi.
Nous sommes le 11 septembre. L’avenir est incertain. Je bous de rage face au gouvernement démissionnaire et à celui qui se profile. Je suis rentrée sous la pluie de Place des fêtes, je me suis dit que la pluie me ferait du bien. J’ai marché lentement.
Si je ralentis le monde aussi ? Il le faut, ou bien nous continuerons à fouler la même moquette sale en nous interrogeant sur ce qui a manqué, ce qui n’a pas été fait.
L’été du bac, il y avait eu un énorme orage, j’étais rentrée trempée, j’avais pleuré. Je ne savais pas si j’étais heureuse ou si j’allais survivre. Aujourd’hui je suis une flaque d’huile prête à s’embraser.
Up, down, turn around
Please don’t let me hit the ground
Tonight, I think I’ll walk alone
I’ll find my soul as I go home[…]
Each way I turn, I know I’ll always try
To break this circle that has been placed around me
From time to time, I find I’ve lost some need
That was so urgent to myself, I do believeTemptation – New Order, 1982