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DPA J-50
L’imminence de l’évènement rend la chose plus irréelle. Les couches et le matériel qui s’accumulent donnent l’impression qu’on s’apprête à jouer à un jeu. J’ai jamais fait de GN je suis pas prête.
C. Singleton se prépare ellui aussi. Tête baissée dans le guidon, iel pédale ; j’ai hâte de ses mollets potelés #velotaf
L’horizon est dégagé, plein de papiers signés et imprimés. Les cerfa sur le bout des doigts.
J’ai de nombreux collègues avec enfants. Ils sont revenus. Pourquoi ? Bon, mis à part les restrictions légales. Je suis bientôt mère mais je n’ai pas de congé maternité, seulement un congé naissance de 3 jours (ouvrés) et un congé « d’accueil de l’enfant » de 25 jours (calendaires). J’ai prévu de prendre un congé parental, et de dépenser tous mes RTT, pour une fois. Et vous voulez me dire qu’il y a encore un après ? Le monde ne s’arrête pas ?
Donnez-moi toute une vie !
Je pense qu’au fond c’est en cela que consiste l’égoïsme d’avoir un enfant : que le monde s’arrête. Ce n’est pas qu’on a plus de vie, mais qu’on refuse la vie telle qu’elle nous est imposée. Jusqu’au moment où on y est réintégré de force, et l’enfant à son tour, énième rouage de la machine. Grain de sable, coup de dés.
Ta fureur dans mon sang pour un monde bien trop triste
Histoires parallèles – Order89, 2021
A sourire contre la montre dans une galaxie vide
Si Hegel a dit que l’histoire se répétait toujours, et si Marx a complété que c’était d’abord comme tragédie et ensuite comme farce, permettez-moi de dire que j’en ai ma claque et que je ne ris plus.
Il n’y a plus de première fois, de deuxième fois, tout est constamment en train de se faire et de se défaire. Dans un univers de flux constant, d’hyperconnectivité inattentive, tout est éternel recommencement et fin qui n’en finit pas.
Notre enfant aura ses premières fois, celles dont iel ne se rappellera pas, celles qui façonneront son monde pour toujours, je ne me nourrirai que de premières fois, recommencées. Chaque repas fondateur, chaque rot historique. Et puis la vie reprendra. C’est ça qui m’effraie. Qu’on dise qu’il y a des premières fois, et après. Je ne veux pas entrer dans la farce, la mondanité. Je ne veux pas de pattern imposé qui fige son histoire et la ridiculise. Je veux changer d’univers avec toi. Il doit y en avoir un où l’on s’émerveille de l’humanité et où nos envies et désirs peuvent être les mêmes et d’autres, et que ce renouveau n’apporte toujours que du bonheur.
Tu me diras, il y a des gens qui veulent revenir à leur travail, qui veulent reprendre leur vie d’avant, et le bébé est une facette supplémentaire de cette vie. Je ne dis pas qu’avoir un enfant nous réduit à cela non, et puis je n’en ai pas encore fait l’expérience. Je me glisserai moi-même à nouveau dans le moule bien sagement, et pourtant je bouillonne pour ellui que quelque chose soit différent.
Si je dis ça c’est que j’ai peut-être l’impression de manquer moi-même de premières ? Que l’Histoire et la mienne basculent exceptionnellement ? Elles s’espacent à l’âge adulte et on flotte entre les deux. Il y a toutes ces premières non actées, autant de fois où on n’a pas mis le monde en pause. Alors on vit au bord du temps ; et j’aime le regarder sans le prendre, assise sur la marche, les jambes pendantes qui se balancent au-dessus de l’irréparable. Je ne dirai pas quoi. Pour tout te dire je ne m’apprêtais pas à parler de ça. But something is.