Je ne sais pas si je serai jamais assez grande.
Je n’étais pas vraiment là, non, pas tout à fait. Pourtant je prenais toute la place, je croyais que c’était mon récit, ma page d’histoire.
sujet
verbe
complément
comment commencer une phrase autrement que par moi ? Je me débecte et m’obsède donc tant ? Le récit était à la première personne, alors même que je ne voulais pas l’être, cette personne. J’en donnais tout l’air, et j’étouffais la pièce, mes yeux gonflés d’envie et de haine. Orbites en pesanteur.
Je n’étais pas belle alors, le serai-je seulement un jour, quoiqu’on m’ait dit que j’étais beau.
Je me moquais des filles alors, mais j’avais déjà si peur des garçons. Comment être elle, être elles, toi, si JE parlais, si je me projetais, s’ils étaient la loi.
De mon statut masculin, il fallait se sauver, converser avec la gente qui menacerait si elle ne me considérait des leurs. J’ai fait du mal. J’ai continué à faire du mal, ensuite, quand l’isolation par les hommes a caché les femmes, les amies autour de moi. De là il n’y a pas de retour, j’ai déchiré des pages, des amitiés. Cette violence venait de moi, incapable justement de défaire l’influence. N’aurais-je trouvé que du vide sans ce jeu de genre masculin ?
Je ne saurais expliquer la logique. Ce n’est pas une éducation. C’est un conditionnement.
C’est la loi d’un regard qui tranche des veines et d’une langue qui enserre.
Autant d’années passées à risquer ma chair contre ces barreaux effilés. À dénigrer d’un regard. À me haïr et elles aussi, car il fallait bien imaginer que c’est dehors. La prison.
La première personne est une injustice. Elle est le poignard qui m’est tendu pour épargner aux autres de me faire du mal. Et d’aimer les filles, ça n’a pas aidé non plus. Comprendre qu’on est une fille, qui aime les filles.
Et parler de soi au masculin, se supprimer avec toutes celles qu’on pense être les seules avec qui pouvoir se lier.
Autant d’années passées où je réalise seulement maintenant les pages que je n’ai pas tournées. Les premières pages, celles dont j’ai imprégné mon dédain.
Je suis désolée.
Et peut-être que nous n’aurions jamais été amies. Mais je n’étais pas même prête à tendre la main. Le mépris était ce que je voyais dans le miroir, et ce que je réfléchissais. Le mépris, surface polie d’une admiration et d’une détresse inexprimables, ou seulement en des termes si masculins, le désir.
Et même de celles qui m’ont confié leurs premières lignes, [sans avoir peur des lendemains], je n’ai pas su tourné la page mais écrire à la première personne. Là où tu étais, j’ai voulu m’imposer, et je ne te voyais déjà plus.
Peut-être que sans ça, je t’aurais adressé la parole. Si [au creux de ma main] j’avais eu la même personne. Je souhaitais être un tu. Pas toi, ni une autre. Et ne jamais me taire. Ne plus être de cette première personne. Ce je, moi je, cette parodie de vie où rien n’est sérieux. Toi, ou une autre, vous viviez, je n’étais pas alors, en vie, non, pas tout à fait.
Ce n’était pas qu’un l ou d’être elle. Plutôt, l’incapacité de comprendre qu’être je, c’est être soi, sans être maître des histoires.
Et incapable de contrôler la mienne, d’écrire une autre que le masculin à mon histoire.
Sans autorité.
L’autorité était ailleurs, l’altérité que m’ont imposé les garçons vis-à-vis des filles, qu’ils m’ont imposé à moi-même. Et plus je m’effaçais, plus je m’efforçais de t’effacer.
Aujourd’hui, mon nom sonne comme elle. Plus que d’autres.
C’est aussi que j’ai souhaité faire la paix avec mon altérité, celle que je t’ai crachée au visage.
> Tu m’en voudras encore, si je suis même une ligne de ton histoire.
Sachez que vous êtes toutes une page de la mienne, que je n’ai pas su lire avant, trop occupée à copier les lignes d’un autre.
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