Je n’écris jamais vraiment pour moi, et j’ai toujours peur quand j’écris de me laisser aller à une certaine mégalomanie. Je n’écris pas non plus pour tout le monde, et je partage cela avec vous dans l’espoir que notre prochaine rencontre virtuelle (ou non) soit pour vous comme moi l’occasion de réapprendre à se connaître.
Je suis une femme trans.
Je l’ai décidé. Oui, un choix s’est offert à moi. Je ne voulais pas simplement dire que je suis née ainsi. Que je l’ai toujours su. Je suis trans et je souhaite que ma décision soit prise en compte, que mes paroles fassent acte et que l’on ne me genre plus au masculin.
Je ne m’étendrai pas forcément sur un historique de comment cette question est venue à se poser, ni de comment j’ai tenté de creuser mes souvenirs pour arriver à me justifier. Tout est question de justification et de légitimité. Les voilà. Une seule phrase devrait suffire.
J’avais pensé à m’adresser à vous face caméra (la mégalomanie vous dis-je). J’y pensais déjà depuis un moment. Puis un simple texte me paraissait suffisant. Les phrases trottaient en tête qui s’enfuient dès que je me suis attelée à la tâche. J’avais la formule, le pouvoir. Et puis aujourd’hui, je découvre qu’il s’agit du #ComingOutDay, une célébration de l’affirmation de soi. J'agis dans la précipitation, aussi rapidement que mes mains tremblantes me laissent.
Je ne suis pas trans parce que je porte du maquillage. Je ne suis pas trans parce que je m’habille au rayon femme, que je porte du vernis et quelques bijoux, que je veux me percer les oreilles ou que je m’épile les sourcils, parce que je cache des organes sexués ou souhaite donner l’impression d’autres.
Et certaines personnes, malgré elles, me le font aussi savoir malgré tous ces efforts, quand elles me genrent au masculin alors que je tente de me présenter à elles clairement selon les codes attendus de ce qu’est une femme, pour elles. Est-ce ma taille, ma mâchoire ou l’ombre d’une barbe mal couverte ? Est-ce sciemment que l’on me ramène à ce genre que je ne souhaite ni porter ni entendre ? Peut-être n’en fais-je pas assez. Après tout, les femmes trans sont connues pour leur « exubérance », leur féminité proactive, performative. Dois-je répondre à l’outrage que l’on me fait par l’outrance que l’on attend de moi (j’utilise des termes qui ne marquent pas mon propre sentiment mais celui, encore visible et agressif, de la société, qu’est-ce que je donnerais pour avoir le courage d’oser l’outrance!) ?
Je suis trans parce que je refuse le masculin. Parce que l’association à la culture virile autant qu’à ce corps ne me correspondent pas. J’ai passé près d’un quart de siècle associée à cela. Je veux me défaire du regard des autres, autant du regard que j’ai sur moi. Il se trouve que mes goûts comme mes idéaux physiques vont vers ce que la société a jugé bon de considérer d’un seul tout comme « la fâme ». Je suis femme. Je n’ai pas eu, et n’aurai jamais, toutes les expériences traditionnellement associées à l’idée de la femme, que toutes les femmes n'ont pas, de toute façon. Sans doute parce que je suis profondément marquée par cette société, j’arrive difficilement à me détacher de ce schéma binaire, mais je crois aussi ne pas avoir à me chercher entre ces deux extrêmes façonnés en norme. J’ai toujours été têtue. Dans un sens, je ne conçois pas de ne pas aller jusqu’au bout (il n’est pas ici question des étapes de transition dont il relève à chaque personne trans d’établir la nécessité, mais au bout de ce spectre du genre). Je ne veux pas me justifier, simplement tenter de donner une idée de mon fil de pensée, à ce moment précis où je panique et je suis grisée à l'idée de parler. Peut-être dans quelques temps je parlerai différemment. J'aurai une perspective autre de mon ressenti, de mon vécu, de ce qui m'a amenée ici.
J’ai vu ma mère récemment, je ne lui en ai pas parlé.
J'ai vu mon père ce soir et je n'ai pas prononcé ces mots avant de refermer la porte.
Je suis une meuf. Et trans, puisqu’il le faut. Vous croyez que je ne claque pas des doigts, parfois, juste pour voir ce qui pourrait arriver ? J’ai envie d’être belle et rebelle. Je le serai avant d’avoir mes hormones, je le serai quand je parlerai d’une voix qui perturbe mon interlocuteur.trice, quand j’aurai la flemme de me maquiller, de parfaitement effacer au regard des autres ce qui n’est pas dans le regard que je porte sur moi.
Sur ce, je vous aime.