Un pèlerinage par prétention

Écrire pour m'accaparer la douleur. J'ai peur qu'il n'y en ait pas assez pour tout le monde, que je sois laissée sur le ban des insensibles, des non concerné·e·s. Mains jointes et doigts croisés je tiens mon smartphone comme un chapelet, dont chaque mot est une perle rituelle. Je sors du cimetière où personne ne m'attendait. Je me suis recueillie de loin, en fixant les vivants.

Pourtant je l'ai visitée plusieurs fois, depuis que j'y ai accompagné Oriane. J'ai visité sa tombe, pas elle, comme elle ne m'a jamais visité dans mes pensées. Car je ne l'ai jamais connue, son visage ne m'a été familier qu'après le 14, sur les pierres posées au Père Lachaise et sur les réseaux. Aujourd'hui encore, je n'étais pas là pour elle ni pour d'autres, égoïste. Alors je ne me suis pas approchée de la tombe. J'avais traversé le cœur du cimetière, où l'on se plait à croire que le bruissement des feuilles et le cri des corbeaux ont quelque chose de magique. Venant du nord je descends les marches, je me rapproche du réel. Je connais le chemin par cœur mais je me détourne. Des familles, des amis sont là eux aussi. Un refrain de Superbus en tête, quel con. Le toit bleu d'une église. Les mêmes tombes, fleuries ou abandonnées, qui m'avaient marquée dès la première fois. Mes repères ne sont pas avec elle, uniquement l'air ambiant, les silences qui l'accompagnent. Un groupe est debout devant elle, ont-ils croisé mon regard ? Je ne m'approcherai pas, j'éviterai une discussion gênante, la preuve de mon illégitimité. Nous sommes tout proche de l'extérieur du cimetière, et je regarde vers le boulevard bruyant, qui ne veut peut-être voir que le mur. Une chanson, un ukulélé rose. Je n'en capte aucun son, je ne percerai pas leur bulle par mon intrusion. Ils se souviennent, sa chanson favorite, sa joie, son caractère, ils ont tout avec eux, en eux. Moi qui ne l'ai jamais rencontrée, je n'ai rien à offrir. L'égoïsme me fait écrire, me fait éviter la confrontation, me fait vouloir participer mais me rappelle à mon inaffection.

Le 13 novembre n'est qu'une autre balade au cimetière, un moyen de rencontrer les morts pour se rappeler aux vivants. J'aimerais leur dire que je les aime, au chaud, loin de la magie d'un lieu pour ceux qui ont de la peine. C'est peut-être ça aussi le religieux, un désir d'appartenance quand la douleur nous est étrangère mais essentielle.

Titre
Un pèlerinage par prétention
Date
13 novembre 2016
Version d'origine
Tumblr
Langue
Français
Collections
Textes Tumblr